Ressource : Les réseaux sociaux, définitions, usages …

Cet article est une synthèse des réflexions au sujet des réseaux sociaux dans le cadre du groupe de travail du TRAAM Arts Plastiques de l’Académie de Besançon.
Dominique Chappard

 

Définitions :

Prismatic Thumbs Up Social Media Word Cloud No Background par CDJ, OpenCliart.org (Public Domain)L’appellation de “réseau social” pour désigner des systèmes de communications entre communautés sur internet est trompeuse à plus d’un titre. Le concept de réseau social vient de la sociologie et a servi à désigner les interactions entre des groupes d’individus dans des contextes sociaux très variés (anciens élèves d’une même école, membres d’une association, employés d’une entreprise, etc.), pour les sociologues Facebook, Twitter, Linkedin… n’ont ni introduit, ni inventé des pratiques sociales qui leur préexistaient [1 & 2], même si l’apparition des réseaux sociaux sur internet a bouleversé cette notion [3]. Par ailleurs, la langue française n’utilise pas le terme exact. En anglais “social media” désigne le réseau social, tandis que “social networking” désigne les infrastructures nécessaires à leur fonctionnement.

Frédéric Cavazza, analyste et spécialiste des réseaux sociaux, utilise le terme de média social et en donne cette définition centrée sur l’outil : « Les médias sociaux désignent un ensemble de services permettant de développer des conversations et des interactions sociales sur internet ou en situation de mobilité. » [4] Pour ce spécialiste en marketing, les réseaux sociaux sont des médias que les entreprises, petites ou grandes, doivent utiliser pour leur communication dans le cadre de leur stratégie commerciale. Cette conception est nuancée par d’autres auteurs pour lesquels le média social se définit par «le fait de communiquer en utilisant tous les moyens proposés par Internet pour initier un dialogue, échanger, partager, écouter, entrer en relation… » (Cédric Deniaud) [5] C’est dans cette seconde acception que se reconnaissent la plupart des utilisateurs, et plus particulièrement les adolescents pour qui la connexion aux réseaux est un signe d’appartenance sociale à un groupe qui partage les mêmes intérêts : améliorer son estime de soi en étant estimé par les autres, se valoriser, être valorisé…

Les usages : De l’album photo traditionnel à la théâtralisation de soi.

Dans un article publié en 1987, l’anthropologue américain Richard Chalfen [6], fait une analyse des pratiques photographiques « amateur » de la “culture Kodak” des années soixante et montre que les albums photos familiaux obéissent à une logique de construction des individus à travers les événements personnels marquants (enfance, anniversaires, mariages …) et portent implicitement une vision de la société. Trois décennies plus tard, avec l’essor des réseaux sociaux, on constate que ses analyses n’ont rien perdu de leur actualité et que les pratiques « amateur » perdurent à travers les évolutions techniques tout en étant parfois exacerbées {10].

Vus de l’extérieur, lorsqu’on consulte les profils de personnes connues ou non, tant sur Facebook, Instagram… que sur des réseaux professionnels comme Linkedin, on a parfois l’impression que ces réseaux sont devenus le lieu de l’invention en continu de sa propre personnalité, voire de la théâtralisation de sa vie privée. L’invention d’alter ego, d’autoportraits plus ou moins inventés, de pseudonymes, d’autobiographies, voire de « mythologies personnelles » sont des pratiques assez fréquentes sur internet. Elles sont connues sous le terme générique d’autofictions.
Dans la littérature, l’autofiction est une œuvre par laquelle un auteur s’invente une personnalité et une existence tout en conservant son identité réelle, à travers son nom propre [9]. Dans l’art contemporain, certains artistes ont mis en œuvre différentes sortes d’autofictions ou de mythologies personnelles pour se « façonner » une identité, a fortiori une identité artistique. Ils se sont pris comme « objet » de leur œuvre pour s’inventer un destin, élaborer une autre représentation de soi. Dans cette problématique on peut citer des artistes comme Christian Boltanski, Jean Le Gac, Gérard Gasiorowski, Sophie Calle, Cindy Sherman… dont les recherches artistiques sont bien antérieures à l’arrivée de ces pratiques dites “sociales”.

Capture d’écran du site officiel de Cindy Sherman (juin 2016)

 

Un album photo emblématique de la culture internet, celui de Zoe Roth sur flickr.com, connue sous le nom de Distaster Girl.(juin 2016)
album photo sur flickr

Actuellement cette création de fausses personnalités peut prendre des aspects anecdotiques comme les faux profils Twitter à vocations parodiques (personnalités politiques), humoristiques comme Jehan Le Brave qui commente l’actualité en ancien Français, ou, plus étonnant, comme les personnes qui s’inventent des identités totalement mensongères.
Les pratiques photographiques et leur diffusion en ligne par des adolescents hésitent entre ces deux pôles : la construction positive d’une part et l’invention d’une personnalité fictive d’autre part. Cette hésitation peut poser problème.
Évolutions :

Dans le domaine des réseaux sociaux, les évolutions sont très rapides et les données chiffrées deviennent très vite obsolètes. Cependant de grandes tendances se dégagent :

Un usage public plus maîtrisé :
Les utilisateurs sont de plus en plus passifs, voire méfiants, et s’engagent de moins en moins publiquement (moins de « likes », de partages de liens ou de prises de positions sur des sujets personnels…), à tel point que Facebook réfléchit à la manière d’inverser cette tendance qui va à l’encontre de son modèle économique [9]. Un nombre de plus en plus important d’utilisateurs se connectent anonymement par le réseau sécurisé Tor [10]. Cette tendance de fond se constate aussi chez les élèves qui semblent avoir un usage public de plus en plus réfléchi des réseaux.

Les réseaux comme accès à l’information :
Les deux définitions des réseaux mentionnées plus haut ne prennent pas en compte des usages récents : l’information et la recherche. En effet, les réseaux sociaux prennent une place de plus en plus importante dans la stratégie d’accès à l’information des élèves, et pour nombre d’entre eux, Facebook tient lieu de moteur de recherche. Ces nouveaux usages semblent surprenants pour les utilisateurs les plus “anciens” d’internet. Mais cette évolution s’explique à la fois par la généralisation des smartphones et l’ergonomie des applications (en fait les stratégies commerciales de leurs concepteurs) entraînant une fidélisation, plus ou moins consentie, des utilisateurs à un même fournisseur de contenus. Dans le domaine de l’information, l’on constate la présence de plus en plus importante sur les réseaux des sociétés de presse qui cherchent à cibler et à atteindre un nouveau public plus jeune [11].

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 “Social Media Remote”Animated Heaven  Domaine Public

 

 

Cette source d’information est aussi source de rumeurs comme l’ont montré les “informations” qui ont pu circuler sur les réseaux à la suite des récents attentats de novembre 2015. Les adolescents ne savaient pas discriminer, au sein de Facebook, le vrai du plausible et du faux. En fait, le problème est beaucoup plus global. Les adultes n’utilisant pas les réseaux sociaux privilégient souvent les aspects négatifs de leur utilisation (narcissisme, futilité, gadgets technologiques, problème de harcèlement et de pratiques malveillantes…). Or, ces médias participent pleinement de pratiques individuelles ou collectives plus vastes, ancrées dans une authentique vie sociale. La méconnaissance, ou le refus de ces usages, constitue une erreur car ces pratiques – à la fois numériques et sociales – participent pleinement à la construction de la personnalité des adolescents. L’Éducation aux Médias et à l’Information (EMI) devient ainsi l’un des enjeux les plus importants dans la formation des citoyens. L’Ecole se doit d’accompagner les jeunes dans un usage raisonné et responsable des outils numériques dont les réseaux sociaux constituent l’un des constituants majeurs.

 

 

Notes :
[1] Tubaro Paola, « Ces réseaux numériques dits sociaux », Sociologie [En ligne], Comptes rendus, 2012, mis en ligne le 29 février 2012, consulté le 05 juin 2016.
URL : http://sociologie.revues.org/1118
[2] Pierre Grelley a rédigé une synthèse de ce sujet dans la revue “Informations sociales” : Grelley Pierre, « … en contrepoint – Les mots des réseaux », Informations sociales 3/2008 (n° 147), p. 51-52 URL : www.cairn.info/revue-informations-sociales-2008-3-page-51.htm.
[3] Parmi les travaux précurseurs, sont souvent mentionnés ceux du Hongrois Frigyes Karinthy en 1929, de l’anthropologue britannique John Barnes en 1954 et du psychologue américain Stanley Milgram en 1967.
[4] Frédéric Cavazza, « Une définition des médias sociaux » [En ligne], mis en ligne le 29 juin 2019, consulté le 5 juin 2016
URL : http://www.mediassociaux.fr/2009/06/29/une-definition-des-medias-sociaux/
[5] On peut retrouver une analyse des diverses définitions des réseaux sociaux dans cet article d’Anthony Besson (doctorant à l’université Paris X en Science de l’Information et de la Communication), « Tentative de définition des médias sociaux 1/2 » mis en ligne le 2 août 2010, consulté le 5 juin 2016.
URL : http://maisouestcequonest.net/2010/08/02/definition-des-medias-sociaux-12/
[6] Richard Chalfen, « La photo de famille et ses usages communicationnels », Études photographiques, 32 | Printemps 2015, [En ligne], mis en ligne le 24 juillet 2015.
URL : http://etudesphotographiques.revues.org/3502. Consulté le 05 juin 2016.
[7] On a tendance à oublier que le nom commun anglais facebook peut se traduire en français par trombinoscope ou album photo.
[8] Le site autofiction.org fournit des analyses très complètes sur cette problématique :
URL : http://www.autofiction.org/index.php?category/Accueil (consulté le 05/06/2016)
[11] Nathalie Pignard-Cheynel et Brigitte Sebbah, « La presse quotidienne régionale sur les réseaux sociaux », Sciences de la société [En ligne], 84-85 | 2012, mis en ligne le 01 octobre 2012, consulté le 05 juin 2016. URL : http://sds.revues.org/1919 ; DOI : 10.4000/sds.1919
[9] Selon des données obtenues par le site The Information, « un peu plus de 60 % des utilisateurs ne partagent désormais aucune information personnelle sur Facebook, tandis que les 39 % restants postent moins de 5 statuts d’ordre privé par semaine ». Toujours selon ces données, le nombre de « contenus originaux partagés » (à savoir, des photos ou textes privés) a chuté de 21 % entre 2014 et 2015, le tout contribuant à une baisse de 5,5 % du total des partages.”
Source : Enrique Moreira, «Facebook de plus en plus impersonnel ?» sur le site lesechos.fr, publié le 14/04/2016, consulté le 05/06/2016
URL : http://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/021845331189-facebook-de-plus-en-plus-impersonnel-1214384.php
[10] Alec Muffett, «1 Million People use Facebook over Tor», publié le 22 avril 2016, consulté le 5 juin 2016
URL : https://www.facebook.com/notes/facebook-over-tor/1-million-people-use-facebook-over-tor/865624066877648