Colloque : Questionner la notion du corps en arts plastiques, visées artistiques et langages pluriels

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Questionner la notion du corps en arts plastiques :

 

Visées artistiques et langages pluriels

 

Viviane Lalire et Rachel Verjus

 

 

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Introduction 

 

 

L’art possède-t-il un langage propre ?

Les arts plastiques requièrent-ils un vocabulaire formant un (des) langage(s) qui peut (peuvent) s’apprendre et se transmettre ?

Existe-il un seul langage ou des langages pluriels ?

Chaque époque, chaque courant artistique, chaque artiste ne crée-t-il pas son propre vocabulaire et son propre langage ?

Qu’apprend-on dès lors en cours d’arts plastiques, reconnus comme discipline artistique obligatoire au collège ?

Le langage est une « fonction d’expression de la pensée et de la communication entre les hommes au moyen d’un système de signes vocaux (paroles) et éventuellement de signes graphiques (écriture) qui constitue une langue ». Par extension, les arts forment eux aussi des langages puisqu’ils ont également une fonction d’expression de la pensée et de la communication entre les hommes.

La présentation de quelques questions fondamentales travaillées  en arts plastiques pour le cycle 4 permet de montrer que si les langages artistiques s’apprennent, ils ne peuvent se réduire à un ensemble de signes codifiés régis par des règles préétablies et figées. En effet, bien qu’incluant les notions de base (forme, espace, lumière, couleur, matière, corps, support, outil, temps), le langage, à l’image des arts plastiques, est pluriel par le jeu même de la création.

L’enseignement des arts plastiques étant fondé sur la pratique plastique dans une relation à la création artistique, faisant constamment interagir action et réflexion sur les questions que posent les processus de création, nous avons choisi d’appuyer notre intervention sur des références artistiques que nous montrons en cours. Ces références mettent toutes en jeu la notion du corps, que ce soit le corps représenté ou présenté, le corps de l’artiste ou du spectateur. Analysées par les élèves, alors qu’ils sont placés en situation de création, ces références leur permettent de mieux appréhender les contenus enseignés et la pluralité des langages des arts plastiques.

La représentation 

 

 

La ressemblance :

le rapport au réel et la valeur expressive de l’écart en art

 

 

 

La question de la ressemblance permet d’appréhender les relations qu’entretiennent les images avec leur référent. L’œuvre la plus illusionniste n’est pas la réalité. Toute représentation induit un écart. En arts plastiques les élèves sont amenés à explorer la portée informative, communicative et émotionnelle de ce dernier.

Le document projeté met en regard deux portraits de la reine Elisabeth II. L’un est une photographie, l’autre une peinture. Les deux représentations font plus que restituer les caractéristiques individuelles du modèle. Si la reconnaissance de la reine est aisée, le choix des moyens plastiques répond dans les deux cas à des intentions différentes. A quelle réalité renvoie chacune de ses représentations ?

Coronation Day, 2 June 1953 CREDIT LINE: Photograph: Cecil Beaton. Royal Collection Trust/ (C) Her Majesty Queen Elizabeth II 2015 Image for use ONLY in connection with the Long To Reign Over Us displays at the Summer Opening of Buckingham Palace, Windsor Castle and the Palace of Holyroodhouse. Images must not be archived or sold-on.

Cecil Beaton (1904-1980)
Reine Elisabeth II, cérémonie du couronnement, 2 juin 1953.

Photographie officielle du couronnement.

 

La photographie de Cecil Beaton représente la cérémonie du couronnement d’Elisabeth II en 1953. Rien n’est laissé au hasard. Les éclairages et la disposition des objets autour de la reine sont réglés au millimètre. De longues heures de réflexion, de retouches et de recadrages ont été nécessaires pour parvenir au portrait souhaité par le photographe : celui d’une reine sublimée dans son rôle et son apparence.

Assise sur le trône, la reine fixe l’objectif. En arrière plan, une toile de fond représente la nef de l’abbaye de Westminster. Tout ici fait référence aux portraits historiques d’apparat, tel le portrait de Louis XIV peint par Hyacinthe Rigaud en 1701 exposé au musée du Louvre. Les objets présents (la couronne, le sceptre et l’orbe) sont des indicateurs les plus significatifs de la monarchie. La mise en scène est théâtrale. Si tout est mis en œuvre pour magnifier la puissance du protocole, la représentation n’est pas exempte de fantasme et de romantisme. Cette photographie officielle du couronnement fera la une de nombreux journaux dans le monde.

"Royal Treasures: A Golden Jubilee Celebration" The Queen's Gallery, Buckingham Palace 22 May 2002 - 12 January 2003 –P Her Majesty Queen Elizabeth II by Lucian Freud –P The Royal Collection © 2001 Lucian Freud –P This photograph is issued to end-user media only. It may be used once only. The image must be used in its entirety; it must not be cropped, adapted, altered or manipulated in any way. Photographs must not be archived or sold on. –P This image may only be used in connection with the exhibition Royal Treasures: A Golden Jubilee Celebration and not after 12 January 2003. –P Contact: Public Relations and Marketing, the Royal Collection - 020 7839 1377

Lucian Freud (1922, 2011), Sa Majesté la Reine Elizabeth II, 2001
Huile sur toile, 23,5 x 15,2 cm, The Royal Collection

Lucian Freud rompt quant à lui avec la tradition des représentations majestueuses des monarques. Les dimensions de la toile sont réduites, le cadrage est resserré sur le visage, les formes semblent posées par grandes masses colorées, la touche rapide et empâtée, représente sans flagornerie les traits d’un visage marqué par le temps. Freud peint une femme faite de chair plus qu’une reine idéalisée dans l’exercice de son pouvoir. Le tableau, décrit par le directeur de la National Portrait Gallery comme “psychologiquement puissant” conquiert de nouveau le visage humain. Notons que cette œuvre, offerte par le peintre à la reine lors de son jubilé en 2001, a suscité de nombreuses polémiques en Grande-Bretagne. L’écart entre la représentation attendue de la reine et le portrait de Freud a choqué plus d’un journaliste britannique.

2-K15-M1-1525 Dürer, Albrecht 1471-1528. "Der Zeichner des liegenden Weibes", Holzschnitt, 75 x 215 mm. Illustration zu: Albrecht Dürer, Under- weysung der messung mit dem zirckel un richtscheyt in Linien ebenen unnd gantzen corporen, 3.Ausgabe Nürnberg 1538. Foto:AKG images Teutonenstr. 22 / D-14129 Berlin Tel. 030-803 40 54 / Fax 030-803 35 99 Bankverbindung Dre. Ba. Berlin BLZ 100 800 00 Konto 462732500 USt.Id DE 136 62841

Albrecht Dürer (1471-1528),
Le Dessinateur de la femme couchée, 1525
Gravure sur bois.
Dürer, Instructions concernant l’usage du compas, Nuremberg, 1525
Cabinet des Estampes, Staatliche Museen, Berlin.

Ce dessin de Dürer rend compte seulement en partie de ce que l’on peut entendre par dispositif de représentation. Car les enjeux artistiques sont ailleurs. Le dispositif de représentation ne saurait se limiter à une simple transcription du réel ou recherche formelle. En opérant des choix signifiants qu’il combine entre eux, l’artiste crée non seulement une œuvre complexe mais aussi un langage artistique.

C’est en faisant prendre conscience aux élèves des enjeux de ces choix multiples que se joue la compréhension de la dimension artistique de l’œuvre : quels éléments composent l’œuvre ? Quels sont ceux qui jouent un rôle important dans son appréhension ? Comment sont-ils organisés ? Quels autres choix l’artiste aurait-il pu opérer ? En quoi ces choix prennent-ils en compte le regard du spectateur ? Comment deviennent-ils langage ?

Le dispositif de représentation

 

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Jacopo Tintoretto dit le Tintoret
Suzanne au bain, vers 1555-1556
Huile sur toile, 146 x 193,6 cm
Kunsthistorisches Museum, Vienne

Dans cette peinture du Tintoret, Suzanne au bain ou Suzanne et les vieillards, le regard est au centre du dispositif de représentation. Au-delà du sujet religieux qui nous propose une réflexion sur le désir et ses interdits, cette représentation est aussi une réflexion sur le regard et la peinture.

On voit ici que l’organisation des éléments qui composent l’image à l’intérieur de l’espace de la représentation n’a rien d’anodin. Les notions à analyser avec les élèves sont nombreuses : composition, format, profondeur de champ, perspective, couleur, etc. La tâche est complexe, chaque élément de l’œuvre participant à sa compréhension.

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La comparaison de plusieurs peintures représentant le même sujet aidera à mieux comprendre les enjeux de chacun des dispositifs de représentation.

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Édouard Manet (1881-1882), Un bar aux Folies Bergère, 1881-1882,
Huile sur toile, 96 × 130cm,  Courtauld Institute of Art, Londres
Jeff Wall (1946), Picture for Women, 1979,
Deux épreuves Cibachromes transparents jointes bord à bord et caisson lumineux
161,5 x 223,5 x 28,5 cm, Centre Georges Pompidou

 

 

La filiation entre ces deux œuvres montre l’importance des choix effectués par les artistes. Ces choix se prêtent à d’infinies variations dans l’emploi des signes et conditionnent la composition et le sens qui en découlent.

Cette œuvre photographique de Jeff Wall s’inspire de la peinture d’Edouard Manet Un bar aux Folies-Bergère. Elle met en scène une femme en train d’être photographiée par un homme, l’artiste lui-même.

Si nombre des éléments du dispositif de représentation paraissent semblables aux deux œuvres, Jeff Wall procède pourtant à de nombreuses et subtiles modifications.

L’artiste déconstruit l’espace représenté par Manet pour le reconstruire, montrant une profonde compréhension de la manière dont les images sont composées et reçues. Et s’il conserve le thème du croisement des regards et du jeu de la séduction, il en introduit de nouveaux, s’inscrivant dans une histoire de l’autoportrait et de la représentation de l’artiste et son modèle. Cette œuvre est aussi une réflexion sur la photographie et les liens qu’elle entretient avec la peinture.

En se référant à cette démarche artistique, la pratique photographique des élèves, multipliant les expérimentations et les variations autour d’une œuvre (ou d’une thématique) leur permet de mieux appréhender cette question du programme. L’usage de l’appareil photographique permet de gagner en efficacité en conservant rapidement une trace des modifications apportées au dispositif au fur et à mesure des expérimentations, mais aussi de surmonter les difficultés de la représentation. La contrainte d’utiliser un miroir facilite cette prise de conscience de l‘importance du point de vue, du dispositif choisi, et des variations de sens qui en découlent. Par ces expérimentations successives, l’élève s’approprie le vocabulaire de l’image et comprend que ses choix sont porteurs d’expression et de sens, que la variété infinie de leur combinaison forme un langage plastique.

La matérialité de l’œuvre 

 

 

La transformation de la matière :

les relations entre matières, outils, gestes

 

 

Cette entrée invite à envisager la réalité concrète d’une œuvre : les qualités physiques et l’agencement des matériaux, le dialogue entre les instruments et la matière, la relation entre l’outil et le geste, le fini et le non-fini. La matérialité est un enjeu dans la perception comme dans l’interprétation de l’œuvre.

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Brancusi, Le Baiser, entre 1923 et 1925, pierre calcaire brune, 36,5 x 25,5 x 24 cm.

Brancusi tient compte des qualités spécifiques du matériau et tire parti de ses qualités physiques. Pour le marbre, il s’inspire de la structure des veines, pour le bois de sa forme naturelle ou de sa madrure. Le Baiser est taillé dans un calcaire de couleur brune. La figure est subordonnée à la masse du bloc de pierre. Le volume est géométrisé, le façonnage irrégulier met en valeur le matériau. Brancusi a travaillé à la taille directe, sans modelage préalable, pour révéler ce qu’il nomme « l’essence cosmique de la matière ». Il affirme: « C’est en taillant la pierre que l’on découvre l’esprit de la matière, sa propre mesure. La main pense et suit la pensée de la matière. »  (citation extraite du dossier pédagogique « Brancusi », Centre Pompidou)

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Willem de Kooning, The Clam Digger, Bronze, 1972,

Musée national d’art moderne, Centre Pompidou

Le pêcheur de palourdes a été modelé dans la terre avant d’être coulé dans le bronze ; la forme semble prête à revenir à son état originaire de magma déstructuré. La matière est à peine agrégée au bloc sur laquelle la pression des doigts de l’artiste est encore sensible. Des traces d’outil, des empreintes, des effets de matière expriment l’inachèvement définitif d’une forme. (Source : Corps et sculpture : traces, moulages et empreintes, dossier baccalauréat arts plastiques, éditions SCEREN, 2004)

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Pierre Soulages, Peinture 202×452 cm, 29 juin 1979,

Diptyque, Huile sur toile,

Paris, Centre Pompidou – Musée national d’art moderne

La peinture est composée de deux toiles de largeur différente réunies en une seule. Le rythme est généré par la variation des formats et les inclinaisons des coups de brosse. Le peintre a effectué de grands gestes horizontaux qu’il a arrêtés avec exactitude aux bords de la toile ou à la frontière de lignes verticales préalablement tracées au crayon. Les différentes profondeurs des sillons creusés par l’outil sont sources de variations. Sur plus de soixante-cinq ans, l’œuvre de Soulages décline tous les usages possibles de la couleur noire. Du noir nait la lumière. La couleur noire, explique l’artiste, « n’existe jamais dans l’absolu », son intensité change en fonction de l’outil, des dimensions du support, de sa forme et de sa texture. En fabriquant ses propres outils, Soulages se libère de tout usage conditionné.

(Source : http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-soulages/ENS-soulages.html)

L’œuvre, l’espace, l’auteur, le spectateur

 

La relation du corps à la production artistique :

l’implication du corps de l’auteur 

 

 

 

Cette entrée permet de questionner le degré d’implication et de présence du corps de l’auteur dans l’œuvre. Y a-t-il affirmation ou minoration des gestes, traces, mouvements, déplacements de l’auteur ? Quelles intentions sont sous-jacentes ?

Rembrandt, Jeune peintre dans son atelier, vers 1628, Boston, Museum of Fine Arts.

Rembrandt, Jeune peintre dans son atelier, vers 1628,

Boston, Museum of Fine Arts.

Pinceaux à la main, l’artiste figure à une certaine distance de sa peinture posée sur un chevalet. Le tableau de grand format – dont on ne voit que le revers – est placé au premier plan et capte la lumière. L’atelier est presque vide. Seuls quelques objets évoquent les actions nécessaires à la production matérielle de l’œuvre (palettes suspendues, table sur laquelle sont posés des récipients, pierre où l’on broie les couleurs). L’artiste n’est pas représenté en train de « faire » mais face à son œuvre. La prise de recul est nécessaire pour réfléchir et décider des actions à venir.

Dans cette représentation, Rembrandt semble affirmer le rôle essentiel du regard et de la pensée dans le processus de création. Le corps est l’intermédiaire qui permet de passer d’une idée à une réalisation visible.

Remarque : Si depuis le 15e siècle (appartenance de la peinture aux arts libéraux) on reconnaît que le travail de l’esprit tient un rôle majeur dans la conception d’une œuvre, au XXe siècle, l’art conceptuel franchit un nouveau cap en affirmant que l’idée doit primer sur la réalisation. Pour Sol Lewitt, le cheminement intellectuel l’emporte sur la production : « tout ce qui attire l’attention sur le physique d’une œuvre (la forme, la couleur, le support) nuit à la compréhension. » (Artforum, été 1967).

Giuseppe Penone, Souffle 6 [Soffio 6], 1978, Terre cuite, 158 x 75 x 79 cm. Soffio 3_1978_cod769 - allestimento Winterthur 2013
Giuseppe Penone, Souffle 6 [Soffio 6], 1978, Terre cuite, 158 x 75 x 79 cm.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’œuvre se présente comme une amphore en terre cuite à taille humaine dont un côté est ouvert. Si Rembrandt se représente à distance de la toile qu’il est en train de réaliser, dans Souffle 6, Penone implique son corps dans la matière. L’engagement dans l’argile permet de garder trace d’une forme soumise au temps ; l’empreinte révèle et fige l’instant du contact et de la prise. Intérieur et extérieur, vide et plein, informe et forme, présence et absence se donnent à voir simultanément.

« Reprenant l’ancien mythe biblique de la Création, où le souffle de Yahvé est donneur de vie, comme aussi le mythe grec de Prométhée et d’Athéna où le souffle de la divinité anime la matière inerte, l’artiste donne vie à la matière lui insufflant l’anima. Le choix de l’argile comme matériau de l’œuvre ainsi que la forme qui correspond à une sorte de jarre vont dans le sens du mythe. […] Le mouvement, qui est au cœur de la sculpture de Penone, se retrouve dans cette volonté de ne pas arrêter les formes, de les garder au plus près de leur surgissement, afin de multiplier le pouvoir suggestif de l’œuvre. »

Le corps dans l’œuvre (http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-penone/penone.html)

La relation du corps à la production artistique :

Les effets du geste et de

l’instrument, les qualités plastiques et les effets visuels obtenus

 

 

Choisir, organiser et mobiliser des gestes, des outils et des matériaux en fonction des effets qu’ils produisent est l’une des compétences travaillées en arts plastiques. Gestes, techniques et instruments ont un rôle majeur dans la création. Ils contribuent à élaborer un langage artistique propre à l’artiste.

En effet, si au cours des siècles les artistes du passé ont peu à peu codifié et maîtrisé à la perfection les usages des outils et les techniques, nombre d’entre eux se sont depuis employés à les réinventer. Au XXe siècle, il ne s’agit alors plus pour eux de faire oublier le travail de la main ou de seulement laisser la trace du pinceau visible, mais bien d’impliquer le corps tout entier dans une confrontation physique avec la matérialité de l’œuvre.

Les exemples suivants montrent bien comment l’artiste en inventant de nouveaux gestes, techniques et instruments crée son propre langage.

Jackson Pollock (1912 - 1956) Painting (Silver over Black, White, Yellow and Red), 1948 Peinture (Argent sur noir, blanc, jaune et rouge), 1948 Peinture sur papier marouflé sur toile, 61 x 80 cm Centre Georges Pompidou

Jackson Pollock (1912 – 1956)
Painting (Silver over Black, White, Yellow and Red), 1948
Peinture (Argent sur noir, blanc, jaune et rouge), 1948
Peinture sur papier marouflé sur toile, 61 x 80 cm
Centre Georges Pompidou

Hans Namuth,
Jackson Pollock at work in 1950.
Photographies en noir et blanc
Hans Namuth, Jackson Pollock at work in 1950. Photographies en noir et blanc Hans Namuth, Jackson Pollock at work in 1950. Photographies en noir et blanc

À partir de la fin des années 1940, le peintre américain Jackson Pollock peint des tableaux abstraits de plus en plus grands.

« Au sol je suis plus à l’aise. Je me sens plus proche du tableau, j’en fais davantage partie ; car de cette façon, je peux marcher tout autour, travailler à partir des quatre côtés et être littéralement dans le tableau. C’est une méthode semblable à celle des peintres Indiens de l’Ouest qui travaillent sur le sable. » 

Jean Clay, Barbara Rose, Rosalind Krauss, E.A. Carmean, Francis O’Connor, L’Atelier de Jackson Pollock photographié par Hans Namuth, Editions Macula, 1978

Olivier Debré

Rideau de scène de l’Opéra de Shanghai, 1998

Peinture sur toile, 22 m x 14 m

Olivier Debré Rideau de scène de l’Opéra de Shanghai, 1998 Peinture sur toile, 22 m x 14 m Olivier Debré Rideau de scène de l’Opéra de Shanghai, 1998 Peinture sur toile, 22 m x 14 m
Olivier Debré Rideau de scène de l’Opéra de Shanghai, 1998 Peinture sur toile, 22 m x 14 m

L’artiste choisit son outil en fonction du format qu’il doit investir et quand celui-ci est à l’échelle du rideau de scène de l’opéra de Shanghai, les outils traditionnels, chevalet, palette, pinceaux, ne sont plus adaptés.

Et pourtant, cela fait longtemps qu’Olivier Debré peint quelque soit le format, la toile posée au sol. Il l’explique ainsi : « Je crois que peindre au chevalet peut créer une distanciation entre la toile et l’artiste. Lorsque je peins par terre, il existe une adhésion physique, sensuelle, presque sexuelle.» De la même façon qu’il utilise depuis longtemps une large brosse fixée au bout d’un long manche l’obligeant ainsi à chaque geste à impliquer son corps tout entier. Source : Dossier pédagogique –Académie de Caen – Musée des Beaux-Arts de Caen – Salle 24 – Etude d’une œuvre – OLIVIER DEBRÉ (Paris, 1920 – Paris, 1999), Noire bleu ocre de Loire aux taches fortes du haut, 1996.

Yan Pei Ming dans son atelier (photographies)

On retrouve cet engagement physique chez le peintre d’origine chinoise Yan Pei Ming. Peintre de la démesure, Ming travaille dans des formats immenses.

L’artiste brosse ses toiles dans une gestuelle ample, impulsive. Mais à côté de la violence du geste, il y a aussi le contrôle du motif car sa peinture est figurative. Yan Pey Ming se veut un peintre de son époque, il se définit aussi comme un peintre de l’histoire.

« Je fais la peinture comme une esquisse, en direct. Il y a tous les doutes, toutes les hésitations, la peinture est beaucoup plus fraîche, beaucoup plus vivante. (…) Hauteur, largeur, physiquement je suis entré dans la peinture. J’adore çà. Chaque fois que je peins, je crois que j’appartiens à la peinture. Je suis physiquement entré. (…) Quand je travaille, je suis très près de mes toiles, presque un mètre, donc je ne vois pratiquement rien. Mais je sens les choses qui sont là. Je sens la peinture. Je sens l’espace où je bouge, où je travaille. (…) Je n’ai pas besoin de voir ou presque (…) Je sens plus que je vois. »

Yan Pei-Ming | Paroles d’artistes, vidéo,, centre Pompidou : www.dailymotion.com/…/xso704_yan-pei-ming-paroles-d-artistes

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Les artistes utilisent parfois des outils peu anodins. Yves Klein invente le pinceau vivant tandis que Niki de Saint Phalle remplace le pinceau par une carabine.

Les Anthropométries sont le résultat de performances réalisées en public avec des modèles dont les corps enduits de peinture viennent s’appliquer sur le support pictural. Les modèles sont guidés à distance par l’artiste. Le tableau est le témoin de ce qui s’est passé.

Yves Klein (1928 - 1962) ANT 82, Anthropométrie de l'époque bleue, 1960 Pigment pur et résine synthétique sur papier marouflé sur toile, 156,5 x 282,5 cm Centre Georges Pompidou Photographies des performances réalisées en public. Yves Klein (1928 - 1962) ANT 82, Anthropométrie de l'époque bleue, 1960 Pigment pur et résine synthétique sur papier marouflé sur toile, 156,5 x 282,5 cm Centre Georges Pompidou Photographies des performances réalisées en public.
Yves Klein (1928 - 1962) ANT 82, Anthropométrie de l'époque bleue, 1960 Pigment pur et résine synthétique sur papier marouflé sur toile, 156,5 x 282,5 cm Centre Georges Pompidou Photographies des performances réalisées en public. Yves Klein (1928 - 1962) ANT 82, Anthropométrie de l'époque bleue, 1960 Pigment pur et résine synthétique sur papier marouflé sur toile, 156,5 x 282,5 cm Centre Georges Pompidou Photographies des performances réalisées en public.
Yves Klein (1928 – 1962)
ANT 82, Anthropométrie de l’époque bleue, 1960
Pigment pur et résine synthétique sur papier marouflé sur toile, 156,5 x 282,5 cm, Centre Georges Pompidou, Photographies des performances réalisées en public.

 

 

Niki de Saint-Phalle prépare ses supports en enfouissant des poches de plastique contenant des couleurs sous une épaisse couche de plâtre blanc. L‘œuvre ne trouve sa forme définitive que lorsque l’artiste ou le spectateur, munis d’une carabine, tirent sur le tableau, crevant les poches en plastique. Ces tirs sont réalisés en public lors de happenings. Le côté spectaculaire et ludique du procédé ne doit cependant pas nous abuser. Rien n’est laissé au hasard, l’artiste sait parfaitement où elle tire. Elle sait aussi quelles cibles elle se donne : « En tirant sur moi, je tirais sur la société et ses injustices. En tirant sur ma propre violence, je tirais sur la violence du temps. » Lettre à Pontus, dans cat. exp. Bonn, Glasgow et Paris 1992-1993, p. 161. www.grandpalais.fr/pdf/depliant_niki_francais.pdf

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Niki de Saint Phalle (1930-2002) Tir, 1961 Plâtre, peinture, métal et objets divers sur de l'aggloméré 175 x 80 cm Centre Pompidou Photographies des happenings réalisés en public. Niki de Saint Phalle (1930-2002) Tir, 1961 Plâtre, peinture, métal et objets divers sur de l'aggloméré 175 x 80 cm Centre Pompidou Photographies des happenings réalisés en public.
Niki de Saint Phalle (1930-2002) Tir, 1961 Plâtre, peinture, métal et objets divers sur de l'aggloméré 175 x 80 cm Centre Pompidou Photographies des happenings réalisés en public.
Niki de Saint Phalle (1930-2002)  Tir, 1961
Plâtre, peinture, métal et objets divers sur de l’aggloméré
175 x 80 cm Centre Pompidou

Photographies des happenings réalisés en public.

 

 

Après que les élèves aient expérimenté outils et techniques dans leur relation à un format, la confrontation de leurs expériences aux œuvres de ces artistes leur permet de faire des choix et d’envisager une production personnelle plus aboutie dans laquelle les effets deviennent langage, porteur de sens ou d’expression.

Mais cette implication physique de l’artiste et son savoir faire sont mis à mal dès 1913 avec les ready-made de Marcel Duchamp. Depuis lors, de nombreux artistes, s’ils ont continué à concevoir des œuvres, ont délégué leur fabrication à d’autres. L’idée prime peu à peu sur le résultat, l’écrit pouvant même primer sur le langage plastique des formes et des couleurs.

Jean Tinguely Machine à dessiner n°3, 1955 54,5 x 106 x 33 cm

Jean Tinguely
Machine à dessiner n°3, 1955
54,5 x 106 x 33 cm

À partir de 1955, Jean Tinguely réalise des machines pour produire de manière mécanique des dessins. L’artiste propose aux visiteurs de sortir de leur position passive de simple spectateur et de devenir acteur de la création. Chaque dessin produit est différent. Au delà de la simple blague, l’artiste questionne le statut de l’œuvre et celui de l’artiste. L’œuvre d’art peut-elle se réduire à une simple maîtrise gestuelle ? L’artiste peut-il être remplacé par la machine ?

Pour l’artiste conceptuel Sol Lewitt, l’idée de l’œuvre prime sur le résultat. Sa démarche est plus importante que l’œuvre créée. Il mettra en place un système de certificats d’authenticité accompagnés d’instructions et de diagrammes devant être suivis scrupuleusement. Des assistants, collectionneurs ou employés de musées exécutent eux-mêmes les œuvres. Les dessins muraux sont réalisés directement sur les murs. In situ, ils existent le temps de l’exposition et sont ensuite détruits. Ils seront refaits à l’identique (ou presque) à chaque nouvelle exposition.

Sol LeWitt Wall drawing
Sol LeWitt
A Wall Divided Vertically into Fifteen Equal Parts, Each with a Different Line Direction and Colour, and All Combinations 1970 Sol LeWitt 1928-2007 Purchased 1973 http://www.tate.org.uk/art/work/T01766

Sol LeWitt “Wall drawing”

 

 

Dan Flavin (1933 – 1996)
Untitled (to Donna) 5a, 1971
6 tubes fluorescents jaune, bleu, rose et structure de métal peint placés en carré en travers d’un angle, 244 x 244 x 139 cm
Centre Georges Pompidou

L’idée et le concept priment également sur l’exécution dans l’œuvre de l’artiste américain minimaliste Dan Flaving qui conçoit sur papier ses œuvres et confie leur réalisation à des techniciens. « Est-ce qu’on demande à un architecte de monter lui-même ses murs ? Ça en est fini du travail pour moi. Maintenant, il est laissé aux électriciens et aux ingénieurs. »
Centre Pompidou mobile – Cercles et carrés – https://www.centrepompidou.fr/…/M5050-CPV-722e5e36-9571-4c61-a00d-4d5a5d5

 

Il est possible d’expérimenter en classe de telles pratiques en demandant aux élèves d’imaginer et d’écrire une série d’instructions et de schémas qu’ils échangeront avec des camarades d’autres classes, chacun étant chargé de proposer une réalisation respectant les instructions données par un autre. Les différents langages utilisés (langue écrite, instructions et schémas) font alors partie intégrante de la réalisation plastique.

La relation du corps à la production artistique : La lisibilité du processus de production et son déploiement dans l’espace : Traces, performance, théâtralisation, événements, œuvres éphémères, captations …

Si l’artiste a longtemps travaillé dans son atelier à l’abri des regards, n’en sortant au XIXe siècle que pour peindre sur le motif, il en est allé tout autrement au XXe siècle. Avec les nouvelles pratiques artistiques du happening et de la performance, le corps de l’artiste n’a jamais été aussi impliqué, malmené, exhibé, devenant outil, support, d’une œuvre se déployant dans l’espace et dans le temps. L’œuvre de l’artiste s’inscrit alors dans la durée et tend quelquefois à se confondre avec sa vie. Son corps devient support, acteur du langage artistique.

 

 

Marina Abramovic et Ulay
Relation in Time (Relation dans le temps), 1977
Studio G7, Bologne

Marina Abramovic et Ulay, son compagnon à l’époque, créent un lien physique très fort entre eux en se reliant par leurs cheveux. Ils restent ainsi attachés et immobiles pendant seize heures. Durant la dernière heure, les spectateurs sont invités à entrer dans la pièce et à assister à la fin de la performance. La symétrie de la mise en scène tend à nous les faire comparer. Ce lien semble dans un premier temps renforcer l’intimité des deux artistes. Mais le dispositif adopté les oblige à se tourner le dos, aucune communication visuelle n’est possible, quant aux échanges verbaux, ils sont interdits. De cette opposition naît la charge émotionnelle, le lien corporel crée aussi une distance et l’intimité obtenue ne semble pas aller de soi. Dans leur œuvre commune, Marina Abramovic et Ulay interrogent les relations homme femme.

 

 

 

Roman Opalka
OPALKA 1965/ 1-infini
(détails n° 2662596, …, et n°5466435).
Photographies noir et blanc
30,5 x 24 cm chacune.

Depuis 1965, quand une peinture est achevée, Roman Opalka se prend en photo. Toujours en noir et blanc, de face, sur un fond blanc, portant une chemise blanche dont le col entrouvert dévoile une chaîne autour du cou.
Ce rituel invariable montre les effets du temps sur le visage de l’artiste. Vie et œuvre sont irrémédiablement liées. L’artiste a composé une suite artistique dont le terme a été sa propre mort.

Afin d’amener les élèves à interroger “la relation du corps à la production artistique“, il leur est demandé de :
mettre en scène les relations qu’entretiennent deux personnes dans l’espace et dans le temps ;
donner à voir la répétition de leur quotidien : « tous les jours le même, tous les jours différents ».
La question du corps comme langage est alors au cœur des apprentissages.

 

La présentation matérielle de l’œuvre dans l’espace,

 

la présentation de l’œuvre

 

Construit au XIXe, réaménagé entre 1967 et 1970, en cours de rénovation aujourd’hui, le musée des Beaux Arts et d’Archéologie de Besançon est particulièrement intéressant pour mettre en évidence l’évolution des différentes fonctions attribuées au musée : conserver les œuvres, les présenter au public, mais aussi, dès le XIXe, participer à la construction de la connaissance. Si, d’un siècle à l’autre, les missions du musée semblent identiques, elles sont envisagées et déclinées différemment. Le musée se voit attribuer de nouveaux rôles, la relation entre l’œuvre et le public ne cesse d’être interrogée.

Deux salles du musée de Besançon vers 1925 (archives du MBAA)


Salle des peintures italiennes

 


Salle des peintures françaises

 

L’accrochage est typique du XIXe siècle. Disposées sur quatre ou cinq rangées, les œuvres couvrent les murs de la plinthe basse jusqu’aux plafonds. Toute la collection du musée est exposée. Les cadres dorés sont bord à bord, les chefs d’œuvre côtoient des œuvres de moindre importance. Une barrière empêche le visiteur de s’approcher des œuvres pour les observer en détail. Absence de cartels donnant des indications sur chacune des œuvres ; seule une pancarte indique qu’il s’agit de l’école française. La vision d’ensemble l’emporte sur l’appréhension fine et sensible de chacune des œuvres.

Si le musée du XIXe est dénoncé dès la fin du siècle, c’est vers 1930 que des changements profonds s’opèrent. Les ouvrages publiés à cette époque révèlent un intérêt croissant pour les questions spécifiques aux visiteurs. Des études tentent de répondre aux grandes questions : comment le public voit-il ? Comment se comporte-t-il ? Comment apprécie-t-il ? Comment interprète-t-il ? Des problèmes aussi pratiques que la hauteur d’accrochage, la forme des vitrines, la disposition des sources lumineuses, le type de support des cartels… profitent de propositions nouvelles. La muséographie, une toute nouvelle discipline, s’intéresse à la sélection et aux regroupements entre les œuvres, travaille sur la mise en valeur et la mise en scène des collections. L’objectif est de favoriser une meilleure appréciation des œuvres d’art.

 

Réaménagement du Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon
Architecte: Louis Miquel

De 1967 à 1970 le musée des Beaux-Arts de Besançon est réaménagé pour permettre la présentation des œuvres de la donation Besson. On fait appel à Louis Miquel, architecte adepte des principes constructifs de Le Corbusier.
A l’intérieur du bâtiment du XIXe, prend place une succession de rampes et de paliers constituant une spirale carrée et ascendante propice au cheminement du visiteur. La nouvelle structure laisse passer le regard. L’espace est décloisonné, la mise en relation d’œuvres d’époques et d’écoles différentes est facilitée. L’œuvre peut être perçue sous différents angles, de près, de loin, à niveau, en plongée ou en contre-plongée.
Si certaines salles du bâtiment du XIXe sont gardées, les décorations murales sont recouvertes d’enduit. Les tentures et le mobilier du XIXe sont enlevés. On désengorge les salles, on espace les œuvres. Rien ne doit entraver le regard du spectateur.

 

 

Fermé pour rénovation, le musée rouvrira en 2018. Les surfaces d’exposition seront augmentées. La verrière coiffant le bâtiment sera reconstruite, l’espace sera davantage éclairé par la lumière naturelle. Au rez-de-chaussée, les fenêtres murées ouvertes ou agrandies permettront un aperçu des collections depuis la rue. Des cloisons abattues rendront plus fluide le parcours. La nouvelle présentation des œuvres renouvellera notre regard et notre appréhension des collections.

 

Projet de rénovation du Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon
Architecte: Adelfo Scaranello

Photos personnelles prises lors d’une visite du chantier (juin 2016)

 

L’expérience sensible de l’espace de l’œuvre

 

Avec les nouvelles pratiques artistiques la distance entre le spectateur et l’œuvre est abolie. La relation de notre corps à l’espace devient un questionnement essentiel, commun avec les domaines des arts appliqués et de l’architecture. Le corps fait alors l’expérience d’un espace dans lequel chaque élément joue un rôle. Les formes et les volumes, les matériaux, les couleurs et la lumière, les sons, l’acoustique, et même la température ambiante sont alors autant d’éléments qui, différemment organisés, agencés, deviendront langage plastique, artistique.

 

Le domaine des arts plastiques

 

Erik Samakh,
Animal en cage, 1988
Bois, électronique, informatique et acoustique,
4 projecteurs, 200 x 200 x 200 cm,
Centre Pompidou

Dans cette installation d’Erik Samakh, une cage est suspendue au centre d’une salle d’exposition obscure et silencieuse. Ce silence est rompu à l’entrée des spectateurs. Au gré de leurs mouvements interceptés par des capteurs, des cris d’animaux retentissent. Le visiteur réagit aux stimuli auditifs en cherchant du regard les corps absents de ces animaux si bruyants. Erik Samakh se joue des perceptions du spectateur. Le langage n’est ici plus seulement plastique mais également sonore. La mise en scène de la cage piège les regards comme le son le fait de l’ouïe.

 

Le domaine du design d’espace en arts appliqués

 

 

 

 

 

 

Verner Panton,
Phantasy Landscape, 1970

Certains designers s’intéressent plus particulièrement à la manière dont l’homme aménage l’espace et l’habite. Selon Verner Panton, nous manquons d’imagination en la matière : « Je ne supporte pas d’entrer dans une pièce, de voir le canapé, la table basse et deux fauteuils, sachant immédiatement que l’on va être coincé ici pour toute la soirée. » Dès 1970, il imaginait un espace à vivre tout en courbes et replis ondulants aux couleurs pop de l’époque, proposant de nouvelles façons d’habiter l’espace et invitant l’homme à réinventer les manières de s’asseoir.

 

 

Le domaine de l’architecture

 

Daniel Libeskind,
Musée juif de Berlin, 2001

L’architecte Daniel Libeskind fait partie de ceux qui croient que l’espace doit faire éprouver quelque chose d’authentique. Il dit se servir « des moyens traditionnels de l’architecture, matériaux, proportions, lumière, pour créer un espace qui n’a jamais existé avant ».
Pour lui, ce musée « n’est pas un monument commémoratif dédié aux morts, le Musée juif est destiné aux vivants ». Pour ce faire, il a créé un bâtiment vide, considérant que la traversée de ses volumes devait permettre au visiteur de ressentir physiquement : la continuité, l’exil, l’Holocauste, les épreuves endurées par le peuple juif allemand. 500 000 personnes en trois ans sont venues visiter le bâtiment vide. De nombreux visiteurs ont pensé que l’architecture suffisait, que les collections n’avaient aucun sens pour retracer l’expérience juive en Allemagne. Pour ces visiteurs, c’est l’architecture elle-même qui devait être exposée.
L’architecte a créé un parcours très déstabilisant pour le visiteur, un « trajet aux allures d’épreuve ». Cette violence se trouve dans le langage plastique utilisé : les formes anguleuses, les lignes brisées, les intersections de droites formant des angles aigus, les plafonds bas, les lignes de lumière artificielle, les parois non verticales, les sols en pente, les fenêtres en forme d’entailles, les pièces non chauffées, etc.

DVD, Architectures – Volume 3, Une collection proposée par Richard Copans et Stan Neumann Producteurs : ARTE France, Les Films d’Ici, Le Centre Georges Pompidou, Direction de l’Architecture et du Patrimoine, Le Musée d’Orsay

 

Ces trois œuvres peuvent servir de références lors d’une situation d’enseignement dans laquelle les élèves sont invités à intervenir sur un espace pour en modifier sa perception ou pour imaginer un espace dans lequel on se sente mal ou dans lequel, a contrario, on se sente bien. Les élèves sont ainsi amenés à faire des choix parmi ce que l’on peut appeler le vocabulaire plastique, faisant appel au sensible pour immerger le spectateur dans une expérience physique qui fasse sens. Il s’agit bien alors de faire prendre conscience aux élèves qu’en suscitant le dialogue avec les visiteurs sur ce qu’elle dit ou exprime, l’œuvre devient langage.

 

Conclusion

 

 

 

Mettre en œuvre l’infinie variété qu’offre la discipline dans le choix et l’emploi des signes, montrer la diversité des langages des arts plastiques, c’est permettre aux élèves de mieux appréhender la richesse des apprentissages et des démarches de création expérimentées en classe. C’est ne pas les enfermer dans une seule pensée, un seul moyen d’expression, un seul langage plastique, c’est leur laisser faire des choix. Et c’est enfin leur faire prendre conscience que leurs choix sont porteurs d’expression et de sens.

Au lycée, notamment dans le croisement des arts plastiques et de la philosophie, les élèves sont amenés à approfondir leur pratique et à problématiser ce que pourrait être la définition d’un langage artistique, s’il existe !
L’art est-il langage ? L’œuvre d’art peut-elle se limiter à traduire des idées que l’on pourrait exprimer autrement et que l’on pourrait traduire dans un autre langage ? Celui de la langue savante par exemple ? L’objet d’art peut-il se réduire à son interprétation ?

En suscitant un dialogue authentique entre le spectateur-interprète sur ce qu’elle dit ou semble vouloir signifier, l’œuvre ne crée-t-elle pas langage par ce phénomène de reconnaissance mutuelle ?

 

Viviane Lalire, professeur d’arts plastiques, Collège Victor Hugo, Besançon
Rachel Verjus, professeur d’arts plastiques, Collège Proudhon, Besançon

 

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